La fiabilisation des comptes hospitaliers
Jean-Bernard MATTRET
Le projet de fiabilisation des comptes
Le projet de fiabilisation repose sur les axes prioritaires suivants :
le pilotage par le chef d'établissement et le comptable ;
la fiabilisation des états financiers. Pour y parvenir, le guide encourage à initier, au plus tôt, un plan d'action à partir d'un diagnostic approfondi de ces états. Cette analyse pourra déboucher, le cas échant, sur la nécessité de procéder à des écritures correctives et de compléter ou renseigner les informations de l'annexe afin de respecter les dispositions de l'instruction M21 ;
la mise en oeuvre d'un dispositif de maîtrise des risques comptables et financiers, dénommé contrôle interne comptable et financier. Pour identifier les processus présentant les plus forts enjeux et/ou risques, l'établissement pourra se fonder sur :
- les cartographies des risques type ;
- les comptes rendus des contrôles, des tableaux de bord utilisés pour la gestion de l'hôpital ou bien encore les analyses financières existantes ;
- les rapports d'audit ;
- la connaissance empirique de l'environnement dans lequel l'établissement intervient ;
la documentation des décisions et des procédures ayant une dimension comptable et financière ;
la mutualisation et les échanges de bonne pratique.
Le renforcement du partenariat entre l'ordonnateur et le comptable implique que l'ordonnateur et le comptable doivent définir conjointement un plan d'actions visant à renforcer progressivement et durablement la fiabilité des comptes de l'établissement.
L'action conjointe pourrait porter sur l'actualisation des éléments du patrimoine enregistrés en comptabilité et sur l'appropriation partagée du référentiel comptable M21.
Un complément apporté à la convention de service comptable et financier, avenant ou nouvelle convention, peut constituer le moyen de formaliser leurs engagements réciproques.
Un calendrier indicatif (2011-2014) décrit les travaux à réaliser pour fiabiliser les comptes et améliorer les conditions de leur clôture. Il peut inspirer les directeurs d'établissement et les comptables pour les aider à bâtir leur plan d'action pluriannuel.
Les ministères chargés de la santé et des comptes publics attendent des résultats sur ces travaux, dans la perspective de la certification des comptes.
La qualité comptable
Dans la recherche d'une définition de la qualité comptable, le guide de la fiabilisation se réfère à :
- l'article 47-2 alinéa 2 la Constitution portant sur les missions de la Cour des comptes. Il dispose que les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ;
- l'article L111-3-1 du code des juridictions financières relatif à la certification des comptes publics en prévoyant notamment que la Cour des comptes s'assure que les comptes des administrations publiques sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière...
Le guide rappelle la définition de la régularité et de la sincérité comptable par renvoi à l'article 120-2 du plan comptable général (PCG).
Le principe de sincérité aurait pourtant pu être relié à la notion de fiabilité des comptes.A l'échelon international, l'annexe 2 de la norme IPSAS1 "présentation des états financiers" donne la définition suivante(3) : "L'information fiable est libre de préjugé et erreur significative. Elle vise à représenter fidèlement la réalité. Pour ce faire, l'information est neutre. Autrement dit, l'information n'a pas été sélectionnée ou présentée de façon à influencer la prise d'une décision".
Selon le cadre conceptuel de la comptabilité de l'Etat(4), la fiabilité des comptes participe du principe de bonne information.
Et toujours selon la même source, une information fiable est exempte d'erreur et de biais significatifs. Elle donne donc une image fidèle de ce qu'elle est censée présenter et de ce qu'on pourrait s'attendre raisonnablement à la voir présenter.
Pour être fiable, l'information doit répondre à plusieurs autres critères :
elle doit présenter une image fidèle des transactions et autres événements qu'elle vise à présenter ;
elle doit être neutre, c'est-à-dire sans parti pris ;
elle doit être prudente, appréciant raisonnablement les faits de manière à ce que les actifs ou les produits ne soient pas surévalués et que les passifs ou les charges ne soient sous-évalués ;
l'information doit être exhaustive.
Selon le guide la fiabilisation, la notion d'image fidèle fonde une exigence d'ensemble résultant de l'application de bonne foi des règles comptables : les comptes doivent donner une vision pertinente et fiable de la réalité. En tant que de besoin, les informations complémentaires nécessaires doivent être données notamment en annexe.
De son côté, l'annexe 2 à la norme internationale de comptabilité publique n°1 définit l'image fidèle de la manière suivante : " Si l'information doit représenter fidèlement des opérations et autres événements, il est nécessaire qu'elle soit présentée en accord avec la substance des opérations et autres événements, et non pas uniquement selon leur forme juridique."
Dans le même sens, selon le cadre conceptuel de la comptabilité de l'Etat(5), " L'image fidèle n'est pas définie de manière directe. Les textes français et européens indiquent que lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas à donner une image fidèle, des informations complémentaires doivent être fournies dans l'annexe. De plus, si dans un cas exceptionnel, l'application d'une règle se révèle impropre à donner une image fidèle, il doit être dérogé à cette règle, cette dérogation devant être mentionnée et motivée dans l'annexe avec l'indication de son effet sur les comptes. "
Selon l'article 9 du Code de commerce et des articles 120-1 et 120-2 du PCG, l'image fidèle serait le principe à respecter lorsque la règle n'existe pas ou lorsqu'elle est insuffisante pour traduire la réalité.
Plusieurs images fidèles sont possibles en fonction des méthodes comptables : une image fidèle selon la méthode des coûts historiques, une image fidèle selon la méthode de la valeur actuelle, une image fidèle selon la valeur de marché...Ainsi, si l'instruction M21 retient la méthode des coûts historiques, la comptabilité de l'Etat prend en considération la juste valeur qui ne se confond pas avec la valeur de marché mais avec la valeur de remplacement.
Dans la mesure où l'actif immobilisé d'un hôpital représente, en moyenne, plus de 90 % de l'actif total, la méthode des coûts historiques pourrait être abandonnée de manière avantageuse pour la méthode de la juste valeur comprise comme la valeur de remplacement. Une telle évolution pourrait représenter une contrainte budgétaire en charge d'amortissement tout en étant une ressource de la première partie du tableau de financement dans l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) de l'établissement. En tout état de cause, l'amortissement qui participe de l'autofinancement serait moins coûteux que le recours à l'emprunt puisque l'amortissement ne permet pas, aujourd'hui, d'assurer le remplacement d'un équipement hospitalier existant.
Selon le guide de la fiabilisation, les objectifs de régularité, sincérité et image fidèle se confondent avec celui de la qualité comptable. Pour être opérationnels, ils nécessitent une traduction sous forme de critères précis et concrets appelés assertions. Elles relèvent :
des principes de comptabilité publique issus du PCG ;
des normes ISA(6) pour les juridictions financières ;
des normes d'exercice professionnel (NEP) pour les commissaires aux comptes.
Un tableau récapitulatif résume ces différents types d'assertions.
Le guide rappelle que des travaux nationaux issus des observations formulées par les juridictions financières, des outils de contrôle comptable développés par la direction générale des finances publiques (DGfip) et de la certification des comptes dans le secteur public, permettent d'apprécier, de manière globale, la qualité comptable des établissements publics de santé.
La fiabilisation des états financiers
Pour s'assurer de la fiabilité des états financiers, le guide la fiabilisation annonce une évolution du référentiel comptable M21 sur les points suivants :
les états financiers soumis à certification. Il s'agit du bilan, du compte de résultat et de l'annexe. Cette dernière sera complétée :
- des faits caractéristiques de l'exercice, principes et méthodes comptables ;
- d'une note relative aux postes de bilan ;
- d'une autre note relative au compte de résultat,
- et d'autres informations comme le tableau synthétique des effectifs, les événements significatifs postérieurs à la clôture tels que la fermeture de service, l'attribution de nouvelles autorisations de soins, un sinistre significatif ou la mise en oeuvre d'une immobilisation majeure, l'information sur les aspects environnementaux et les honoraires du commissaire aux comptes, le cas échéant ;
- l'annexe relative à la dette (état F3) sera enrichie au vu de l'avis du conseil de normalisation des comptes publics n° 2011-05 du 8 juillet 201(7)
Les comptes de 2012 devront être présentés en 2013 selon cette nouvelle version.
les règles comptables. D'ores et déjà, le traitement des corrections d'erreurs, des changements de méthodes et d'évaluation s'effectuera conformément à l'avis rendu par le Conseil de normalisation des comptes publics du 27 mai 2011(8). D'autres évolutions sont annoncées sur les contrats de partenariat et les baux emphytéotiques, la suppression de l'amortissement progressif, le mode de calcul de la provision compte épargne-temps (CET), la limitation du champ de la provision pour propre assureur et la clarification du fonctionnement du compte 142.
Le guide de la fiabilisation attire encore l'attention sur les thèmes suivants :
les normes IFRS (international financial reporting standards) ne s'appliquent pas aux EPS, notamment s'agissant des évaluations d'actifs et de passif. En particulier, la comptabilisation à la " juste valeur " ne fait pas partie du référentiel comptable des établissements publics de santé. Cette précision pourrait sembler une évidence puisque les IFRS ne concernent que les entreprises commerciales.
En revanche, la question de l'application des normes internationales de comptabilité publique qui inspire la comptabilité de l'Etat et notamment la norme n° 6 sur les immobilisations corporelles reste entière. Or, cette dernière retient la notion de juste valeur comprise comme valeur de remplacement notamment à propos des infrastructures autoroutières. Il serait bon que le conseil de normalisation des comptes publics qui a été créé pour assurer la convergence des normes comptables dans le secteur public s'empare du sujet ;
l'application, avec discernement de l'amortissement par composants ;
la fixation de durées d'amortissement cohérentes avec la durée d'utilisation économique des différents éléments du patrimoine immobilisé.
Le guide de fiabilisation recense des points de vigilance minimaux autour de l'actif immobilisé brut, des amortissements des actifs immobilisés, des provisions réglementées, des provisions, des apports et subventions d'investissement reçues, des stocks, des créances, des dettes et des écritures d'inventaire.
Trois priorités ont été identifiées :
la nécessité de fiabiliser l'actif immobilisé et notamment de disposer d'un inventaire et d'un état de l'actif ajustés avec la comptabilité générale de l'établissement et la réalité de son patrimoine ;
le traitement du risque d'irrécouvrabilité, la comptabilisation des dépréciations de créances et des admissions en non-valeur ;
la mise à niveau des provisions en prévoyant, dans les cas exceptionnels d'en étaler la charge dans le temps.
Le déploiement d'un dispositif de maîtrise des risques comptables et financiers
Le guide présente les principes généraux du contrôle interne comptable et financier en se référant à des référentiels :
- internationaux comme le COSO (Commette Of Sponsoring Organisations of the Treadway Commission) ou l'International Federation of Accountants (IFAC),
- nationaux comme le Conseil supérieur des experts comptables, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, l'Institut Français d'audit et de contrôle interne (IFACI) ou l'Autorité des marchés financiers.
Après avoir présenté la démarche théorique relative au déploiement du contrôle interne, le guide de la fiabilisation expose la démarche pratique du contrôle interne comptable et financier autour :
d'une révision des procédures impliquant les personnels, depuis les services gestionnaires (directions fonctionnelles : affaires médicales, affaires financières, ressources humaines, directions techniques) et les services de soins, le DIM, l'ordonnateur, les services informatiques jusqu'au comptable ;
d'une mise en place progressive d'une maîtrise des risques :
- en capitalisant les points forts,
- en définissant une architecture de contrôle interne comptable articulé autour de la notion de processus comptable ;
- en définissant précisément le rôle des différents acteurs intervenant sur chaque processus ;
- en normalisant les modalités de contrôle ;
- en documentant les procédures ;
- en assurant la traçabilité des opérations comptables et financières.
d'un arbitrage constant entre le coût de la mesure de contrôle interne et le risque à maîtriser. Ce dernier doit être évalué sous deux angles : la possibilité de survenance et son impact financier. Cette évaluation doit être mise en parallèle avec les moyens dont dispose l'établissement et son environnement administratif et comptable ;
d'une démarche conjointe ordonnateur-comptable pour :
- assurer la traçabilité des acteurs et des opérations comptables autour d'une piste d'audit unique, depuis le fait générateur jusqu'à l'écriture comptable correspondante en comptabilité et, inversement, de l'écriture comptable jusqu'au fait générateur ;
- identifier les processus les plus à risques au moyen de cartographies à risques dont plusieurs exemples son présentés. Ce point est particulièrement développé dans le guide ;
- recenser les points de fragilité en termes de système d'information. Il s'agit de vérifier l'effectivité et la pertinence des contrôles tant humains qu'informatisés au regard de la cartographie des risques, à détecter les insuffisances ou fragilité des systèmes d'information et à planifier les actions d'amélioration à envisager ;
d'un plan d'action qui définira notamment les contrôles à opérer par les acteurs de la chaîne de travail et qui justifiera de l'effectivité et de mise à jour du plan d'action dans le cadre de l'audit de certification, et
d'une évaluation du contrôle interne comptable au moyen de corroborations, c'est-à-dire des contrôles sur place exercés par l'encadrement pour vérifier la réalité et l'efficacité du dispositif de contrôle interne mis en place.
Situation des établissements publics de santé soumis à la certification des comptes
Après avoir exposé la présentation générale de certification des comptes des établissements publics de santé, le guide de la fiabilisation présente des recommandations générales pour préparer la certification des comptes :
- le chef d'établissement doit piloter le projet de certification ;
- les états financiers à certifier doivent être fiabilisés ;
- le maîtrise des risques comptables et financiers doit être mise en oeuvre. En l'absence de contrôle interne comptable, les comptes de l'établissement ne pourraient pas être certifiés.
- la préparation de la documentation destinée à formaliser les décisions et les procédures à caractère comptable et financier. Organigramme fonctionnel, dossier permanent et dossier de clôture permettent au certificateur de prendre connaissance de la structure dans laquelle il intervient et du dispositif mis en place de maîtrise des risques d'anomalie significative dans les comptes.
Un calendrier indicatif sur quatre exercices répartit les tâches à opérer en vue de la certification. Il s'agit notamment :
- de constituer un dossier permanent,
- de développer et de documenter un dispositif de contrôle interne et comptable sur les processus à plus haut risque comptable et financier ;
- d'achever en N - 2 les corrections d'écritures et les documenter ;
- de fiabiliser le bilan de clôture N - 1 et le bilan d'ouverture N ;
- de lancer l'appel d'offres du marché de certification fin N - 1 si la mission doit être confiée à un commissaire aux comptes ;
- d'accueillir en N le certificateur, d'anticiper son intervention lors de la clôture des comptes de N en N + 1,
- de tenir compte dès N + 1 de l'opinion du certificateur pour améliorer le contrôle interne comptable et la tenue de la comptabilité.
S'agissant de la correspondance entre le bilan de clôture de l'exercice précédent et le bilan d'ouverture soumis à certification, l'attention des chefs d'établissement et des comptables est appelée sur :
- l'importance et l'ampleur des travaux à mener au cours de la période préparatoire à la certification des comptes ;
- le principe de comparabilité des exercices,
- les corrections d'écritures à opérer, de préférence au cours de l'exercice N - 2, si elles ne sont pas intervenues auparavant dans le cadre du chantier de fiabilisation des comptes.
Notes :
(1) Le terme de fiabiisation paraît un néologisme synonyme d'action tendant à rendre fiable les états financiers hospitaliers.
(2) CIRCULAIRE INTERMINISTERIELLE N°DGOS/DGFIP/PF/PF1/CL1B/2011/391 du 10 octobre 2011 relative au lancement du projet de fiabilisation des comptes de l'ensemble des établissements publics de santé. Cette circulaire et le guide qui la complète précisent les orientations stratégiques et le calendrier général préconisés pour fiabiliser les comptes de l'ensemble des établissements publics de santé et faciliter la préparation de la certification des comptes des établissements soumis à terme à cette obligation. Le texte de la circulaire et du guide de fiabilisation peut être consulté sur le site du ministère de la santé
(3) Le texte intégral de la norme internationale de comptabilité publique IPSAS 1 " Présentation des états financiers " figure sur le site Internet de l'IFAC
(4) et (5) In recueil des normes comptables de l'Etat publié par le comité des normes de comptabilité publique sur le site Internet de la performance publique. Voir plus haut.
(6) Voir finances hospitalières n° 45 de mars 2011 - Les normes internationales d'audit : les diligences de l'auditeur, pp. 15 - 21.
(7) Voir finances hospitalières n° 52 de novembre 2011, information comptable des dettes financières et des instruments dérivés, pp. 21 - 24.
(8) Voir finances hospitalières n° 52 de novembre 2011, changement de méthodes et d'estimations comptables, corrections d'erreurs.