Le nouveau dispositif de contrôle externe T2A ou le verre à moitié vide
Omar YAHIA
Avocat au Barreau de ParisProvoqué par une importante contestation des fédérations hospitalières à partir de la fin de l'année 2009, la réforme du contrôle externe de la tarification à l'activité des établissements ayant une activité de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie, a été entreprise par décret n°2011-1209 du 29 septembre 2011.
Les griefs formulés à l'encontre de la procédure actuelle étaient connus et ils demeurent nombreux : dévoiement du contrôle d'activité en contrôle de l'opportunité des pratiques médicales, inégalités régionales de traitement dans le prononcé des sanctions, brièveté du délai de préparation pré et post-contrôle, abus du recours à l'argumentaire de la bonne tenue du dossier patient, suspicion de partialité sur les avis de l'Agence Technique de l'Information sur l'Hospitalisation (ATIH) du fait du financement de l'organisme à 50% par l'Assurance maladie.
Les revendications sont également connues : plafonnement du rapport de 1 à 3 entre le montant des indus et celui de la sanction financière, comprenant la prise en compte des éléments de sous facturation au même titre que les éventuelles surfacturations dans le calcul des indus, mise en place d'une réelle procédure contradictoire de recours, fondée sur des référentiels partagés, non-paiement des sanctions financières en cas de contestation des indus, et fin du dispositif d'extrapolation permettant aujourd'hui d'établir des sanctions financières sur des dossiers non contrôlés.
S'il constitue des avancées notables sur certains points, le décret demeure toutefois insuffisant au plan de certains principes.
Des avancées notables
En premier lieu, le décret du 29 septembre 2011 a désormais prévu une compensation entre les sommes indûment perçues par l'établissement et les sommes dues par la caisse au titre des sous facturations, avec l'accord de l'établissement, modifiant ainsi le code de la sécurité sociale en intégrant un nouvel article R.133-9-3 au code de la sécurité sociale (CSS).
Il était en effet curieux de constater que les notifications d'indu ne portaient que sur les surfacturations alors qu'il est de notoriété publique que les sous facturations, tout aussi involontaires, pénalisaient les établissements.
Cela étant précisé, cette procédure en amont auprès de caisses n'est applicable que pour les faits commis antérieurement au 1er octobre 2011, observation étant faite qu'elle s'applique, en revanche, lors du calcul de la sanction opéré par le DGARS (article R.162-42-12 du CSS).
En deuxième lieu, le montant de la sanction financière ne peut excéder dix fois le montant des sommes indûment perçues par l'établissement, contre 30 fois auparavant. Les fédérations hospitalières avaient proposé de limiter ce plafond à trois fois le montant des sommes indues.
La sanction prononcée par le DGARS est désormais fixée en fonction de la gravité des manquements constatés et de leur caractère réitéré, formulation qui n'entame pas le caractère discrétionnaire du pouvoir du DGARS dans la fixation du montant de la sanction. Il lui est possible de s'abstenir de prononcer de sanction alors que la Commission de contrôle y serait favorable.
La procédure est réputée abandonnée, faute pour le DGARS d'observer les délais qui lui sont impartis pour adresser ses observations auprès de la Commission de contrôle et auprès de l'établissement (R.162-42-13, III).
Ce même article prévoit désormais les cas où une décision juridictionnelle exécutoire aboutirait à un montant d'indu inférieur à celui notifié initialement à l'établissement. Si la sanction prenant en compte l'indu contesté a déjà été notifiée, le DGARS doit procéder au réexamen du montant de la sanction en fonction du montant d'indu résultant de la décision juridictionnelle.
Cette disposition constitue un premier pas, certes timide mais intéressant, vers la reconnaissance d'une interdépendance entre la procédure introduite devant les juridictions des affaires de sécurité sociale et la procédure initiée devant les juges administratifs.
En troisième et dernier lieu, la procédure du contradictoire a été améliorée en ce que le DGARS doit désormais adresser " à l'établissement en cause, par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, une notification comportant la date, la nature, la cause et le montant des manquements constatés, le montant de la sanction maximale encourue, en indiquant à l'établissement qu'il dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception pour demander à être entendu, s'il le souhaite, ou présenter ses observations écrites ".
Le délai était auparavant de 15 jours seulement, amélioration notable qui ne pallie pas des insuffisances persistantes.
Des insuffisances persistantes
Les insuffisances du décret du 29 septembre 2011 sont nombreuses au plan des principes.
Sur le montant des sanctions financières, le fait de limiter à un intervalle de 1 à 10 le rapport entre le montant des indus et le montant de la sanction financière ne présente pas une garantie suffisante pour les établissements contre le risque de disproportion encouru lors du prononcé de la sanction, laquelle sanction constitue dans la plupart des cas une méconnaissance du principe de proportionnalité au but poursuivi de maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Par ses silences, le décret maintient également une remarquable asymétrie d'informations entre les contrôleurs et les contrôlés dès lors qu'il n'a pas été prévu que l'établissement, sujet du contrôle, puisse avoir accès à l'ensemble des documents mentionnés à la nouvelle version de l'article R.162-42-11 du CSS, qui permettent aux représentants de l'Assurance maladie, comme à l'ARS, d'aboutir à la décision de sanction (montant des sommes indues par rapport aux sommes dues, chiffre d'affaires de l'établissement, rapport de synthèse de l'Unité de Coordination Régionale des contrôles externes).
Dans le cadre d'un dispositif équilibré, il eût été sain que le décret prévoie la communication préventive des avis de la Commission de contrôle, conformément aux dispositions de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 sur les documents administratifs communicables.
Sur la méconnaissance du principe d'impartialité, il convient d'être extrêmement prudent en ce que, par arrêt du 7 juin 2010(1), le Conseil d'Etat a considéré :
" qu'en outre, la circonstance que des représentants des organismes d'assurance maladie siègent au sein de la commission exécutive et se prononcent au vu d'un rapport de contrôle susceptible d'être élaboré par des praticiens-conseils de ces mêmes organismes et l'absence, au sein de cette commission exécutive, de représentants des établissements de santé ne sauraient, par elles-mêmes, caractériser une méconnaissance du principe d'impartialité ; "
Cela signifie qu'il faut rapporter la preuve d'une impartialité non pas objective mais subjective, laquelle pourrait tenir :
au rôle antérieurement joué par chacun des membres de l'UCR et de la Commission de contrôle, dans le cadre des contrôles externes ;
à la motivation des praticiens-conseils dans le cadre de la rédaction du rapport de contrôle, en cas de divergence d'interprétation des règles de codage et de facturation ;
et, plus encore, au mode de rémunération des praticiens-conseils, déterminé en partie par accord du 30 juin 2008 relatif à la mise en place de l'intéressement dans les organismes du régime général de sécurité sociale, et fixé sur des " normes de productivité ", en violation du principe d'indépendance consacré à l'article R.4127-97 du code de la santé publique.
Le nouveau décret a, par ailleurs, ignoré le souhait des fédérations tendant à la création d'instances régionales de conciliation et de concertation en cas de divergence d'interprétation sur les règles de codage et de facturation.
Pour finir, le décret entre en vigueur au 1er octobre 2011, les nouvelles dispositions s'appliquant aux procédures de sanction relatives à des faits commis antérieurement au 1er octobre 2011, qui n'ont pas fait l'objet, à cette date, de la notification de la sanction adressée par le DGARS (prévue au III de l'article R.162-42-13 CSS), sauf si elles sont moins favorables que les dispositions antérieures.
Il est probable que, compte tenu de ses timides avancées, le décret du 29 septembre 2011 fasse l'objet d'un recours contentieux devant le Conseil d'Etat.
L'attention des établissements sera également attirée sur le projet de circulaire relative à ces nouvelles dispositions réglementaires, le rapport à venir de l'INSEE sur les techniques d'échantillonnage, et enfin le Guide du contrôle externe régional, appelé à être modifié en concertation avec les fédérations en novembre 2011.
Notes :
(1) CE, 7 juin 2010, Centre hospitalier de Dieppe, n°3