Vente de terrains du domaine privé : quelle procédure ?
Muriel TREMEUR
Référence : Conseil d'État, 27 mars 2017 n° 390347
Le patrimoine foncier et immobilier des centres hospitaliers est une opportunité de tirer des profits lorsqu'ils n'en ont plus l'usage, et donc réflexion à engager en période de restrictions budgétaires. Ainsi, la valorisation du patrimoine s'avère être " un véritable défi pour les établissements de santé "(1). Le sujet a fait l'objet d'études et de préconisations pour créer de nouvelles recettes via les diverses possibilités de valorisation qu'il s'agisse par exemple de la cession ou de la mise à disposition. Les politiques en la matière sont néanmoins rares et peu définies, et la Cour des comptes évoquait en 2012 la nécessité d'une définition d'une stratégie patrimoniale en ces termes : " La détermination d'une stratégie est indispensable pour guider les arbitrages entre conservation ou cession des biens "(2).
La cession de terrains a été le choix opéré par le centre hospitalier spécialisé (CHS) de la Savoie à Bassens (73) dont l'activité est de dispenser des soins en santé mentale (psychiatrie générale adulte, psychiatrie infanto juvénile, psychopathologie de l'adolescent). Son patrimoine est important. Le directeur du CHS a décidé de procéder à la vente de terrains de son domaine privé, mais la vente ainsi réalisée est contestée devant le juge administratif en raison de la procédure mise en oeuvre.
Vente du domaine privé : concurrence ou pas ?
La vente litigieuse concerne des terrains appartenant au domaine privé. Toutefois, le CHS a choisi de procéder à la vente par la voie d'un appel à projet comportant la réception de plusieurs offres d'achat, une consultation et une mise en concurrence. Dans ce cadre, le directeur rejetait les offres d'achat formulées par les sociétés Procedim et Sinfimmo, pour les céder à la société CIS Promotion. Les deux premières ont alors effectué un recours gracieux en vain à l'encontre des décisions des 22 décembre 2010 et 26 mai 2011 du directeur. Les sociétés Procedim et Sinfimmo estimaient que le principe d'égalité de traitement entre les candidats dans la mise en oeuvre de cette procédure avait été bafoué. Pour faire reconnaître cet argument, elles ont intenté une procédure judiciaire en saisissant le tribunal administratif. Toutefois, ce dernier a rejeté leur demande d'annulation fondée sur la méconnaissance du principe d'égalité de traitement. Elles ont alors fait appel pour contester le jugement ainsi rendu. Là encore, leur recours est rejeté par la cour administrative d'appel le 19 mars 2015, laquelle considère que les règles de la commande publique ne s'appliquent pas à la vente réalisée(3). Les sociétés décident alors de former un pourvoi en cassation devant le conseil d'Etat.
L'intervention de l'acquéreur devant le conseil d'État
Le litige en présence oppose d'une part le centre hospitalier en défense, et d'autre part les deux sociétés qui saisissent le conseil d'État. Pour rappel, une personne extérieure au litige peut intervenir de manière volontaire à un procès si elle justifie avoir qualité et intérêt à agir à l'instance. En l'espèce, la société CIS promotion a décidé d'intervenir volontairement dans le litige, et il incombait au juge administratif d'apprécier son intervention pour l'accepter ou la refuser. Cette société étant cessionnaire des parcelles en litige, la haute juridiction a estimé qu'elle justifie ainsi d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêt attaqué, et admet son intervention au soutien des prétentions du Centre hospitalier spécialisé de la Savoie. Aussi, le litige soumis au conseil d'État opposait les deux sociétés requérantes au CHS en défense, et à la société CIS promotion intervenant volontaire.
Un appel à projets facultatif, mais qui contraint le vendeur
Il est utile de rappeler que le rôle de la haute juridiction administrative qu'est le conseil d'État porte sur le seul contrôle de la bonne application du droit, sans pouvoir apprécier au fond les faits du litige qui ne relèvent pas de sa compétence. Dans la décision rendue, le conseil d'État formule de manière solennelle un principe général en ces termes : " Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à une personne morale de droit public autre que l'Etat de faire précéder la vente d'une dépendance de son domaine privé d'une mise en concurrence préalable "(4).
Le CHS n'avait donc pas l'obligation de procéder à la vente de ses terrains privés en prévoyant une mise en concurrence préalable. Tel a pourtant été son choix. Dans ce cadre, le conseil d'État estime que la procédure ainsi mise en oeuvre par le CHS l'obligeait à respecter les principes applicables, en particulier le principe d'égalité de traitement entre les sociétés candidates. Les termes du Conseil d'État définissant ce principe sont de nouveau tout aussi solennel : " Toutefois, lorsqu'une telle personne publique fait le choix, sans y être contrainte, de céder un bien de son domaine privé par la voie d'un appel à projets comportant une mise en concurrence, elle est tenue de respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats au rachat de ce bien ".
En conséquence, et en application de ces principes, le conseil d'État estime que le juge administratif d'appel a commis une erreur de droit en rejetant la méconnaissance alléguée par les sociétés Procedim et Sinfimmo du principe d'égalité de traitement entre les candidats dans la mise en oeuvre de la vente, puisque le projet de cession avait fait l'objet de la consultation à laquelle elles avaient répondu. L'arrêt rendu le 19 mars 2015 par la Cour administrative d'appel est annulé, et les frais de procédure devant le conseil d'État sont mis à la charge du CHS qui perd le procès. L'affaire est donc renvoyée devant la Cour administrative d'appel afin qu'il soit statué sur le fond au regard des principes de droit définis par le conseil d'État. Le juge aura alors pour tâche d'apprécier à la vue des pièces fournies et éléments du dossier qui lui sera soumis si le principe d'égalité de traitement entre les candidats lors de la mise en oeuvre de la cession des terrains a été méconnu ou pas. Ce principe doit avoir été respecté à tous les stades de la procédure(5). L'égalité de traitement suppose l'absence de discrimination ou de favoritisme entre les candidats notamment lors de la rédaction du cahier des charges ou de la consultation des offres de tous les candidats. La délivrance de l'information doit être équivalente. Dans l'hypothèse où un candidat pose une question complémentaire, l'acheteur public est tenu de répondre à tous les candidats. Le juge appréciera par voie de conséquence la légalité de la vente pour se prononcer sur son éventuelle nullité.
Notes :
(1) " Le patrimoine immobilier des établissements publics de santé non affecté aux soins ", Rapport d'information n° 270 au nom de la commission des finances du Sénat sur l'enquête de la Cour des comptes.
(2) " Le patrimoine immobilier des hôpitaux non affecté aux soins ", Rapport public annuel de la Cour des comptes : février 2012.
(3) Cour administrative d'appel de Lyon, 19 mars 2015, n° 14LY00915.
(4) Voir l'aliénation des biens de l'État du domaine privé aux articles R. 129 et suivants du Code du domaine de l'État qui prévoit une procédure spécifique. L'article R. 129 dispose : " L'aliénation d'un immeuble du domaine privé de l'Etat a lieu avec publicité et mise en concurrence, soit par adjudication publique, soit à l'amiable. La cession amiable est précédée d'une publicité permettant une mise en concurrence (...). "
(5) Transparence des procédures, liberté d'accès à la commande publique, et égalité de traitement des candidats, sont les trois principes applicables à la commande publique notamment pour veiller à la bonne utilisation des deniers publics, et repris par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.