La lettre des décideurs économiques et financiers des hôpitaux

GESTION FINANCIÈRE

Premières tendances 2023 pour les finances hospitalières publiques : des investissements qui continuent d’augmenter mais des ratios d’exploitation dont la détérioration s’amplifie

 

Sébastien VILLERET

Direction des études et de la recherche de La Banque Postale

Nos estimations 2023 sur les finances hospitalières vont dans le prolongement des évolutions 2021 et 2022 analysées dans l'édition 2024 de « Regard financier sur les hôpitaux publics », publication réalisée depuis 2022 en partenariat avec la Fédération Hospitalière de France (FHF). Parmi les principaux résultats pour 2023, la capacité d'autofinancement (CAF) nette[1] se détériore à nouveau. Les investissements ont tout de même continué à augmenter mais leur hausse est due pour partie à l'inflation.

Cet article s'appuie sur les premières données de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) transmises pour 2023 en ce qui concerne la nomenclature comptable M21. Elles concernent près de 90 % des hôpitaux publics, représentant 93 % à 94 % des produits consolidés et de l'encours de dette sur la base des données 2022. Des estimations extrapolées à l'ensemble du secteur hospitalier public ont été calculées pour cet article ; les réalisations pourront par définition être différentes.

Les montants investis sont de nouveau en augmentation en 2023

En 2023, la relance des investissements hospitaliers publics, initiée en 2021 et 2022, se prolonge. Ils s'établiraient selon nos estimations autour de 6 Md€, soit un niveau supérieur de presque 1 Md€ à 2022 et de 2 Md€ par rapport à la moyenne annuelle 2018/2020, correspondant à la période où les investissements ont été les moins importants. Cette relance doit cependant être relativisée car l'analyse est réalisée en euros courants, ne prenant donc pas en compte l'effet prix dans le bâtiment et les travaux publics, important depuis 2022 et qui engendre l'augmentation du montant investi pour une opération donnée. Autre élément relativisant cette relance, le montant de 2023 resterait inférieur au montant moyen observé sur 2009/2012 (environ 6,5 Md€), période correspondant à la fin des précédents plans nationaux d'aide à l'investissement (Hôpital 2007 et 2012) alors que nous sommes depuis 2021 au début du plan Ségur qui doit s'étaler jusqu'en 2030.

Le taux de renouvellement des immobilisations, rapport entre les investissements et le patrimoine brut, devrait être autour de 5 % en 2023 alors qu'il s'établissait de 3,5 % à 4,5 % entre 2015 et 2021.

Le taux de vétusté global va à nouveau augmenter en 2023

Malgré la hausse annuelle des investissements observée chaque année depuis 2021, le taux de vétusté global, rapportant les amortissements et dépréciations au patrimoine brut, continue d'augmenter chaque année, atteignant 60,7 % en 2023. Si son niveau doit être analysé avec grande prudence, car il dépend directement de la durée et de la nature retenues pour amortir les différentes immobilisations, l'analyse de son évolution dans le temps nous paraît plus significative : il a augmenté depuis 2015 d'un peu moins de 10 points.

Évolution du taux de vétusté global

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Ce résultat illustre que la problématique de renouvellement de l'outil de travail hospitalier public reste aujourd'hui centrale et que, pour parvenir à la résoudre, la relance des investissements devra être prolongée et amplifiée dans les années à venir. Si ce constat est une conviction, nous sommes conscients que l'équation ne sera pas simple à résoudre, du fait notamment de la dégradation des ratios d'autofinancement des hôpitaux publics, une telle dégradation ayant à un moment ou à un autre un impact sur leur capacité à investir.

Environ 60 % des hôpitaux publics enregistreraient un déficit de CAF nette en 2023

Évolution de la part des hôpitaux publics enregistrant une CAF nette négative

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Note de lecture : parmi les hôpitaux dont la CAF nette est négative, on distingue deux cas :

Ceux dont la CAF brute est négative (la CAF nette l'est donc forcément) ;

Ceux dont la CAF brute est positive mais la CAF nette négative à la suite de la déduction des remboursements de capital courant.

Cette dégradation peut notamment être illustrée par la part des hôpitaux publics enregistrant une CAF nette négative. En 2022, environ 45 % des hôpitaux publics étaient concernés, part la plus élevée depuis au moins 2015. Ce pourcentage va être largement dépassé en 2023, où quelque 60 % des établissements souffriraient d'un déficit de CAF nette.

Contrairement aux années précédentes, la CAF nette cumulée (c'est-à-dire la somme des montants de CAF nette des hôpitaux publics, qu'ils soient positifs ou négatifs), deviendrait négative et pourrait représenter l'équivalent de 17 % des investissements de 2023.

Le plan Ségur participe au financement des investissements mais son impact est moindre qu'escompté

Ce déficit de CAF nette a nécessité une compensation par d'autres modalités de financement des investissements. Le plan Ségur apporte une pierre à l'édifice en 2023 comme c'était déjà le cas en 2021 et 2022 mais la taille de cette pierre mesurée par rapport à celle de l'édifice est moindre qu'escompté car l'inflation, comme développé plus tôt dans cet article, a fait s'agrandir la taille représentée par l'édifice.

Depuis 2021, le plan d'investissement lancé dans le cadre du Ségur de la santé participe au financement des investissements réalisés. Comme en attestent des subventions représentant 27 % des investissements, pourcentage le plus élevé de la période, son impact se développe en 2023, grâce à :

La hausse qui se prolonge du Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (FMIS)[2], enveloppe de 6 Md€ de crédits France Relance refinancés par l'Union européenne[3] ;

La montée en puissance des subventions dédiées aux projets d'investissements du secteur public hospitalier (SPH)[4], enveloppe de 6,5 Md€ avec des aides versées en fonction du rythme de l'opération d'investissement subventionnée. En 2022, rares étaient ces subventions structurantes à être lancées puisqu'elles avaient permis de financer uniquement 1,5 % des investissements. Ce retard par rapport au calendrier espéré pouvait principalement s'expliquer par l'importante inflation intervenue en 2022 ayant engendré une hausse du coût total des opérations et, très souvent et par voie de conséquence, la nécessité de redéfinition de leur plan de financement. En 2023, le pourcentage d'investissements financés par ces subventions structurantes est beaucoup plus élevé, à environ 7,5 %.

Modalités de financement des investissements

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Le poids des emprunts pourrait être à son plus bas niveau de la période mais ce serait tout de même, comme chaque année, la principale modalité de financement des investissements, représentant 45 % des montants investis en 2023. Enfin, un prélèvement sur le Fonds de roulement significatif, équivalent à environ 20 % des investissements, serait nécessaire pour le bouclage des plans de financement. Cela engendrerait une diminution de la trésorerie de fin d'année des hôpitaux publics à Besoin en fonds de roulement (BFR) identique.

Un peu plus d'hôpitaux publics ayant besoin de l'autorisation de l'ARS pour emprunter sur la base des comptes 2023 qu'en 2022

La part des hôpitaux publics ayant besoin de l'autorisation de leur Agence régionale de santé (ARS) pour emprunter devrait augmenter entre 2022 et 2023. Elle est estimée à environ 37 % contre 33 % en 2022. Des trois ratios réglementaires de dette définis dans le décret du 14 décembre 2011, c'est la détérioration du délai de désendettement[5] qui serait à l'origine de l'essentiel de cette hausse. Environ 60 % des hôpitaux publics dépasseraient le seuil réglementaire de 10 années (de CAF brute) contre 10 points de moins en 2022. La part de ceux dépassant le seuil pour l'indépendance financière[6] (50 %) serait relativement stable entre 2021 et 2022, autour d'un établissement sur cinq. Enfin, pour ce qui est du taux d'endettement[7], cette part diminuerait de quelques points pour se rapprocher d'environ un tiers d'hôpitaux publics concernés, à la faveur de la combinaison entre une légère baisse de l'encours de dette en 2023 et des produits consolidés assez dynamiques.

Éléments concourant au besoin d'autorisation de l'ARS pour emprunter

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Notes :

[1] La CAF nette correspond à la CAF brute (différence entre les produits encaissés et les charges décaissées d'une année) de laquelle sont déduits les remboursements de capital courant. Ces derniers correspondent à la totalité des remboursements de capital hormis ceux comptabilisés en comptes 16449 (opérations afférentes à l'option de tirage sur ligne de trésorerie) et 166 (refinancement et renégociation de la dette). Les remboursements de dette consécutifs aux emprunts obligataires à court terme sont également exclus des remboursements de capital courant.

[2] Le FMIS a remplacé en 2021 le Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP).

[3] Ces crédits France Relance, dont une partie est dédiée au numérique, concernent l'ensemble du secteur hospitalier (y compris les établissements privés à but lucratif) ainsi que les établissements médico-sociaux.

[4] Le SPH comprend l'intégralité des hôpitaux publics et l'immense majorité des Établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC).

[5] Le délai de désendettement est le rapport entre l'encours de dette et la CAF brute. Cet indicateur est également appelé capacité de désendettement ou durée apparente de la dette comme dans le décret.

[6] La formule retenue dans le cadre du décret pour l'indépendance financière est le rapport entre l'encours de dette et les capitaux permanents hors le résultat net de l'année.

[7] Le taux d'endettement est le rapport entre l'encours de dette et les produits consolidés.

 
Au sommaireN°196
Décembre 2024

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