La lettre des décideurs économiques et financiers des hôpitaux

MARCHÉS FINANCIERS

Financement du secteur hospitalier : le point sur les marchés, la dette et les stratégies à adopter

 

Anthony ARMAND

Analyste, ANALIS FINANCE

Beaucoup d'évènements sont survenus ce mois-ci sur les marchés financiers, avec des conséquences sur les conditions d'emprunts des EPS

Les politiques de banques centrales et leurs conséquences 

La BCE

La Banque centrale européenne a relevé ses taux directeurs de 75 points de base (pbs) en septembre, une ampleur inédite pour une hausse des taux.

Le taux de dépôt est ainsi passé à 0,75 %, celui de la facilité de refinancement à 1,25 % et celui de la facilité de prêt marginale à 1,50 %. En juillet, elle avait déjà procédé à un relèvement - son premier depuis 2011 - de 50 pbs. Les taux sont désormais à leur plus haut niveau depuis 10 ans.

Les prévisions d'inflation en 2022 (8,1%), 2023 (5,5%) et 2024 (2,3%) ont encore été dégradées par la BCE, ce qui signifie que d'autres hausses de taux sont à prévoir car le message est désormais clair : pour les banques centrales, la priorité est de stabiliser les prix même si cela entraîne une croissance moins forte et une augmentation du taux de chômage.

Le 28/09/2022, la BCE a indiqué qu'elle pourrait devoir relever ses taux d'intérêt de 75 points de base supplémentaires lors de sa réunion d'octobre et décider d'une nouvelle hausse en décembre pour les porter au niveau « neutre ». Les marchés anticipent pour l'instant un taux de dépôt à 2% d'ici la fin de l'année, contre 0,75% actuellement, puis à 3% au printemps prochain et ils ne prévoient pas de retour de l'inflation vers 2%, l'objectif que s'est fixé la BCE, avant fin 2024 au plus tôt.

La présidente de la banque centrale, Christine Lagarde, a déclaré que le premier objectif du cycle de hausse de taux en cours était le taux "neutre". "Nous devons ramener l'inflation à 2% à moyen terme et nous ferons ce que nous avons à faire, c'est à dire continuer de relever les taux d'intérêt au cours des prochaines réunions", a-t-elle dit lors d'une conférence à Francfort.

Si le niveau du taux "neutre" n'est pas clairement défini, la plupart des économistes le situent entre 1,5% et 2%, un niveau qui, selon Olli Rehn, pourrait être atteint avant la fin de l'année. "De mon point de vue, nous nous dirigeons vers la zone du taux neutre d'ici Noël", a-t-il dit à Reuters. "Une fois que nous y serons arrivés, nous verrons s'il y a des arguments en faveur d'une avancée vers un territoire plus restrictif."

La FED

La banque centrale américaine (Fed) a donné un nouveau tour de vis important à sa politique monétaire le 21/09, face à une inflation toujours bien trop forte, et a averti qu'il lui faudrait resserrer encore, ce qui sera douloureux pour les ménages.

La Réserve fédérale américaine a ainsi relevé de 0,75% son principal taux directeur, qui s'établit désormais dans une fourchette allant de 3,00 à 3,25%. C'est la troisième fois d'affilée que le comité de politique monétaire procède à une hausse de cette ampleur. Elle avait commencé en mars par un relèvement habituel d'un quart de point, avant une hausse d'un demi-point en mai. Les nouvelles projections de la banque centrale montrent que le taux directeur devrait augmenter de 1,25% supplémentaire d'ici fin décembre, puis culminer à 4,60% en 2023. Le comité de politique monétaire de la banque centrale ne prévoit en outre aucune baisse de taux avant 2024.

Relever le taux directeur fait augmenter les taux d'intérêt des divers prêts aux particuliers et professionnels, afin de faire ralentir l'activité économique, et donc de desserrer la pression sur les prix.

Toutes ces politiques, ainsi que celles des autres banques centrales (Angleterre, Norvège, Suisse, etc.), ont pour conséquence des taux évoluant plutôt à la hausse ; l'ampleur de cette hausse sur les 6 prochains mois dépendra de la stratégie des banques centrales qui tend actuellement à augmenter le taux directeur au-delà du taux dit « neutre » (celui qui permet de juguler l'inflation et de maintenir la croissance). En effet, le niveau de ce taux neutre (différend pour chaque banque centrale) ne semble pas suffisant pour enrayer suffisamment la spirale inflationniste pour revenir à son niveau fixé en objectif.

Verdict lors des prochaines réunions des banques centrales fin octobre 2022......

Les taux courts augmentent donc à la suite de ces politiques, les taux longs aussi mais moins vite car une récession mondiale pourrait se profiler, d'où le processus d'inversion de la courbe des taux (taux courts plus élevés que les taux longs) depuis quelques mois aux USA et assez récemment en Europe, avec une volatilité forte qui entraine selon les jours une inversion ou pas.

L'inflation

Léger mieux aux USA en août avec un taux de 8,3% contre 8,5% en juillet. En Europe, en septembre la tendance est disparate : 6,2% en France après 6,6% en août, 10,9% en Allemagne après 7,9% en août, 10% en zone Euro après 9,1% en août.  Les prévisions des gouvernements sont aussi variées pour 2023 : 2,8% aux USA, 8,8% en Allemagne, 4,2% en France, 5,5% en Zone Euro avant un retour plus proche de la cible de 2% en 2024.

La courbe des taux et son inversion actuelle

L'inversion de la courbe des taux Euro, une réalité désormais concrète mais extrêmement volatile

Depuis quelques semaines, la courbe des taux euro se tend alors qu'elle est déjà inversée aux Etats-Unis (le taux 2 ans est supérieur aux taux 10 ans), et cette inversion s'est accentuée avec des chiffres d'inflation US moins baissiers que prévu. Une inversion de la courbe des taux est généralement un signe avant-coureur de récession à venir.

Les marchés considèrent désormais que le couple inflation forte-augmentation des taux plus agressive des taux par les banques centrales est le scénario des semaines et mois à venir, l'objectif étant de juguler cette inflation au détriment de la croissance et du chômage si cela est nécessaire.

Les taux courts devraient donc continuer à monter (Euribor 12 mois à 2,625% le 29/09 (soit l'Euribor anticipé dans 1 an) et Euribor 3 mois à 1,228%), alors que les taux longs pourraient certes monter moins vite avec les craintes de récession à venir. Mais ils sont désormais à des niveaux « restrictifs » en termes de soutenabilité sur les comptes de résultat pour financer les projets d'investissements : ce jour un taux 20 ans hors marge bancaire cote 3,012%.

Surveillance forte des produits structurés sur écart de pente (CMS)

La courbe des taux euro est donc comme aux USA en train de s'inverser avec une forte volatilité selon les jours (écart 10ans-2ans à -0,007% le 27/09 et +0,21% le 28/09 nous sommes déjà dans un processus d'inversion), avec comme conséquence pour ceux d'entre vous détenant encours des encours structurés sur écart de pente (CMS) des échéances dégradées. D'ailleurs les prêts avec écart de pente CMS30ans-CMS2ans (-0,562% actuellement) et CMS30ans-CMS1an (-0,085% actuellement) ont déjà des échéances dégradées.

Nous conseillons donc de vous rapprocher des banques détenant ces encours afin d'évoquer les solutions possibles sans bien entendu sécuriser à tout prix, le recul historique sur les produits structurés ayant démontré qu'il ne faut jamais réagir dans l'urgence. Des opportunités de sécurisation en contrepartie de nouveaux emprunts si vous avez des besoins pourraient être une solution à étudier.

Les niveaux d'emprunt actuels

Actuellement, l'OAT 10 ans cote depuis 15 jours aux alentours de 2,70%-3,00% en forte hausse depuis cet été (plus bas à 1,25% le 02/08/2022) avec de fortes volatilités intraday, le marché n'est pas stabilisé loin s'en faut avec les incertitudes nombreuses sur l'évolution de l'inflation et de la croissance dans la durée dans une partie d'équilibriste, qui ne permettent pas aux investisseurs d'avoir une vision précise des hausses de taux (et de leur rythme) à venir des banques centrales.

Le 29/09 un taux 20 ans hors marge bancaire cote 3,012% ; un taux 15 ans hors marge bancaire cote 3,062% et un taux 25 ans cote 2,93%. Les marges bancaires sont comprises selon les profils de risque entre 50 et 130 points de base.

Côté des taux courts, l'Euribor 12 mois cote 2,625% en hausse vertigineuse (-0,491% il y un an), le 6 mois est à 1,851% (0,908% il y a un mois) ; le 3 mois est positif depuis mi-juillet à 1,228%, le 1 mois est positif depuis récemment à 0,722% tout comme l'Ester désormais à 0,662%.

Ci-dessous, les conditions moyennes proposées dernièrement (mi-septembre) mais déjà nous recevons des offres bien plus élevées en taux fixes (provenant d'investisseurs et supérieures aux taux d'usure) : sur 15 ans taux fixe moyen de 3,50% (offre reçue le 30/09 à 4,15%) et marge moyenne sur Euribor de 0,66%, sur 20 ans taux fixe moyen de 3,70% (offre reçue le 30/09 à 4,25%) et marge moyenne sur Euribor de 0,69%.

Au risque de nous répéter nous réécrivons ce que nous disions en août : Le « tout taux fixe » qui se justifiait (après une analyse précise de l'encours existant car si l'entité possédait déjà quasiment 100% de son encours existant en taux fixe il fallait s'interroger sur une diversification) ces dernières années doit s'adapter désormais au contexte de marché. L'histoire des 10 dernières années du financement du secteur public avec notamment les prêts dits toxiques a laissé des traces : beaucoup d'emprunteurs ont du mal à souscrire des prêts sur un index autre que le taux fixe.

Une réflexion est nécessaire pour répondre à ces craintes, car dans le contexte actuel de remontée des taux, avec des projets à financer et dont les coûts de construction explosent avec le prix des matières premières, un taux fixe avec marge à 3,75-4,25% n'est pas toujours absorbable facilement sur le résultat d'exploitation des exercices futurs ! »

Les nouveaux taux d'usure pour le 4ème trimestre

Le taux d'usure applicable au 1er octobre 2022 pour une période de 3 mois était de nouveau très attendu. Au-delà de l'actualisation, depuis le 1er juillet le principal changement concerne la corrélation avec les taux de marché. Ainsi le taux de l'usure sur les prêts à taux fixe pour les collectivités/EPS est maintenant découpé en fonction de la maturité. Avant cette modification, tous les prêts à taux fixe d'une durée supérieure à 2 ans avaient le même taux de l'usure. A compter du 1er juillet 2022 le niveau du taux de l'usure pour les contrats à taux fixe a été découpé en fonction des durées avec donc à partir du 1er octobre 2022 et pour le 4ème trimestre 2022 les taux d'usure suivants :

Entre 2 et 10 ans : 3.21%,

Entre 10 et 20 ans : 3.28% (taux fixe sur 10 ans hors marge à 3,056% ce jour),

20 ans et plus : 3.45% (taux fixe sur 20 ans hors marge à 3,012% ce jour),

Pour les prêts à taux variable d'une durée supérieure à 2 ans, le taux de l'usure est à 3,17%.

Pour rappel, au 3ème trimestre 2022, le taux de l'usure sur les prêts d'une durée supérieure à 2 ans était de :

pour les contrats à taux fixe : 2,75% entre 2 et 10 ans, 2,83% entre 10 et 20 ans et 3,03% pour 20 ans et plus,

2.56% pour les prêts à taux variable

Un taux fixe 20 ans cote au 29 septembre 2022 à 3,012% hors marge bancaire. Nous avons vu les nouveaux taux d'usure (taux au-dessus duquel les banques ne sont pas autorisées à faire des propositions) actualisés au 1er octobre 2022 et s'appliquant pour les 3 prochains mois.

Les banques continuent bien entendu d'adapter les marges proposées au profil de risque de l'emprunteur, mais au vu des taux d'usure du 4ème trimestre et des niveaux de taux actuels, il risque de demeurer nombre de situations problématiques où le taux fixe ne peut être proposé car dépassant le taux d'usure, même si désormais l'enjeu est aussi de savoir si à ce niveau de taux le financement des projets est soutenable en taux fixe ; mais aussi où la liquidité demandée n'est pas couverte par les offres bancaires.


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