Combien de crises faudra-t-il ?
Roland CASH
Après la crise sanitaire, le monde hospitalier connaît une grave crise des ressources humaines (qui avait démarré avant 2020). Face à ces circonstances, le discours des pouvoirs publics se veut à la hauteur des enjeux. Il y a eu le Ségur de la santé. Il y a aussi les sempiternelles annonces de réforme tarifaire pour sortir d'un « tout T2A » dans lequel nous n'avons jamais été plongé. Il y a le discours tout aussi sempiternel sur la prévention. Car en effet, comment continuer à raisonner comme avant ? Peut-on continuer avec les mêmes outils et les mêmes réflexes de « régulation » ? Apparemment oui. L'actuelle campagne budgétaire en reste aux mêmes procédures : maintien du coefficient prudentiel sur les tarifs et des mises en réserve a priori , réponses ponctuelles aux mouvements sociaux par des « enveloppes » dégagées en urgence, différences public / privé non justifiées [1] , ... Et au lieu de la pluri-annualité annoncée, la visibilité est inférieure à l'année avec des tarifs publiés avec un mois de retard. Quant au discours réformateur, il ne produit pas grand-chose de concret. En 2018, la « task-force » sur la réforme des modes de financement et de régulation avait par exemple proposé la création de forfaits pour les pathologies chroniques. Seul un forfait pour le suivi des patients insuffisants rénaux chroniques avant suppléance a été mis en place (forfait MRC) ; celui prévu sur le diabète a été abandonné et on ne parle plus d'autres pathologies. Les dotations populationnelles mises en place par ailleurs pour les urgences et la psychiatrie laissent une impression d'inachèvement, la tâche principale de répartition reposant sur les ARS, avec le risque fort de reconduction des dotations existantes [2] .
Pourtant, le système de financement connaît de nombreux problèmes : sous-tarification de la gynéco-obstétrique, sous-financement des actes de biologie et anatomo-pathologie hors nomenclature, gestion des listes en sus peu rationnelle et non transparente [3] , ... Quant aux problèmes plus globaux, l'actualité est riche d'exemples. Marc Noizet, président du syndicat SAMU-Urgences de France, déclare ainsi : « Nous avons l'impression d'une descente aux enfers, dans l'indifférence. Les patients s'empilent dans nos services dans tous les hôpitaux désormais, les fermetures continuent, la situation se dégrade à vitesse grand V, les urgentistes partent, les infirmières aussi... ».
Mais ces problèmes ne sont pas ou mal traités. Certes, les finances publiques sont au plus mal, mais cela n'empêche pas de résoudre au moins quelques-uns des problèmes évoqués plus haut, de donner des perspectives, et surtout d'organiser la politique de prévention de façon volontariste et sans tabous (par exemple sur l'alcool ou la qualité de l'offre de l'industrie agro-alimentaire).
L'un des malentendus réside dans le terme de régulation. Pour les responsables publics en charge de la campagne budgétaire, il s'agit de respecter l'ONDAM. Pour les économistes, il s'agit de mobiliser les moyens, méthodes et procédures pour répondre à la demande par une offre de qualité, sous contrainte budgétaire [4] . Ce n'est pas la même chose.
Notes :
[1] Les tarifs augmentent de 7,1% dans le public, 6,7% dans le privé non lucratif, 5,4% dans les cliniques à but lucratif
[2] Voir par exemple l'article sur la réforme du financement de la psychiatrie d'Hélène de Faverges,
Finances Hospitalières d'avril 2023
[3] On a l'exemple récent de la sortie de la liste en sus de deux dispositifs médicaux sans revalorisation des GHS : cathéters de thrombo-aspiration utilisés par les neuroradiologues ; guides de mesures de la fraction du flux de réserve coronaire pour évaluer le risque ischémique
[4] Rapport du HCAAM sur la régulation du système de santé, juin 2021